Bilan du DUME après un an d'utilisation
Nos premiers enseignements de Document Unique de Marché Européen depuis août 2016
Depuis le 30 juin 2017, nous avons pu nous confronter à ce formulaire et nous avons surtout pu constater qu’il traîne dans son sillage un nombre étonnant de questions, d’objections et de variétés d’application. Personne ne sait vraiment comme l’utiliser, chacun tente son approche personnelle, l’arrêté royal du 15 avril 2018 est venu ajouter des consignes qui existaient déjà, … et le Conseil d’État a ainsi pu rendre ses premiers arrêts sur l’utilisation du DUME!
À l’heure où la réglementation souffle sa première bougie, nous récapitulons les premiers enseignements.
1. Marchés concernés par le DUME
La réglementation (tant la loi du 17 juin 2016 que les arrêtés royaux relatifs à la passation des marchés publics des 18 avril et 18 juin 2017) n’est pas très loquace à propos du DUME. On y apprend que le DUME n’est applicable que pour les marchés publics dont la valeur (estimée par l’adjudicateur) atteint le seuil fixé pour la publicité européenne (et à quelques exceptions près, quelques cas dans lesquels, bien que cette valeur soit atteinte, le DUME n’est pas requis) et que l’adjudicateur ne peut pas demander de DUME pour les marchés dont la valeur estimée est inférieure à ce montant. Pour rappel, à l’heure d’écrire ces lignes, les seuils fixés pour la publicité européenne sont les suivants:
Bien entendu, le DUME n’a d’existence que lorsque l’adjudicateur opère une sélection qualitative. Car depuis le 30 juin 2017, les entreprises publiques (adjudicateurs issus des secteurs spéciaux qui ne répondent pas à la définition de «pouvoir adjudicateur») n’ont pas l’obligation de prévoir des règles et critères objectifs d’exclusion et de sélection des soumissionnaires ou candidats. Bien qu’en pratique, la plupart d’entre elles continuent à appliquer de tels critères dans leurs marchés, cette nouvelle règle pourrait expliquer l’absence de DUME dans certains marchés passés dans les secteurs spéciaux (dans les secteurs classiques, les adjudicateurs n’ont pas la même faculté).
Dès que le seuil fixé pour la publicité européenne est atteint, la remise d’un DUME est obligatoire.
Dans un arrêt rendu en janvier 2018, la partie requérante, qui n’avait pas joint le DUME à son offre, a tenté de faire valoir que l’article 73 de la loi du 17 juin 2016 ouvre une alternative pour les marchés dont la valeur estimée atteint le seuil fixé pour la publicité européenne: l’utilisation du DUME ou la jonction à l’offre des certificats et autres documents probants. Le Conseil d’État, après avoir relu la disposition, a balayé cet argument: le DUME est obligatoire dès que le seuil fixé pour la publicité européenne est atteinte, sans aucune alternative.
Dans une seconde affaire, jugée par le Conseil d’État en février 2018, le Conseil d’État a rappelé que l’obligation de remettre un DUME dépend de la valeur estimée (par l’adjudicateur) du marché, et ce même si l’adjudicateur ne renseigne pas cette estimation dans les documents du marché. Dans cette affaire, la partie requérante, qui avait omis de joindre un DUME à son offre, invoquait le fait que le cahier des charges était muet quant à la valeur estimée du marché et que, en toute hypothèse, le seuil fixé pour la publicité européenne n’était pas atteint puisque son offre s’élevait à un peu moins de 140.000 EUR HTVA. Le Conseil d’État a souligné que l’argumentation de la partie requérante ne résistait pas à un examen des données de la cause: d’une part, l’adjudicateur avait déposé un «modèle DUME» sur la plateforme e-Notification et un lien sur cette plateforme pointait vers l’avis publié au Journal officiel de l’Union européenne, et, d’autre part, la partie requérante semblait oublier que les documents du marché envisageaient une reconduction telle que le marché pouvait avoir une durée de quatre ans, quadruplant le montant de son offre, qui atteignait donc largement le seuil fixé pour la publicité européenne.
2. Utilisation du DUME
Le DUME est un formulaire électronique, qui ne peut être fourni à l’adjudicateur que sous format électronique. Nous avons, dans notre pratique, croisé des DUME complétés à la main ou en «surimpression» du PDF: il nous parait beaucoup plus simple, surtout en cas de procédure dématérialisée ou si l’opérateur économique souhaite réutiliser un DUME de marché en marché, dépasser par les plateformes d’élaboration du DUME, qu’il s’agisse de la plateforme européenne ou de la plateforme belge.
L’obligation de remettre le DUME au format électronique, combinée avec les garanties que doivent présenter les modes de communication électronique, énoncées à l’article 14, § 7, de la loi du 17 juin 2016, et avec la possibilité, pour les adjudicateurs, de continuer à passer leurs marchés par voie papier jusqu’à l’automne 2018 (les marchés publics lancés à partir du 18 octobre 2018 et dont la valeur estimée atteint le seuil fixé pour la publicité européenne devront être passés par voie électronique), suscite une interpellation de taille: comment joindre un DUME électronique à une offre papier? Aux termes du Rapport au Roi accompagnant l’arrêté royal du 15 avril 2018, «cela signifie concrètement, qu’à partir du 18 avril 2018, le DUME devra pour lesdits marchés impérativement être fourni à l’adjudicateur sous format électronique mais que les autres échanges d’informations entre l’adjudicateur et les opérateurs économiques, en ce compris la transmission et la réception des offres ne devront pas impérativement être réalisés par des moyens de communication électroniques». Mais le législateur réglementaire s’abstient d’expliquer comment faire en pratique:
Doit-on imprimer, signer, et scanner le DUME pour qu’il soit remis au format électronique (par exemple sur un support USB) ?
Cette méthode est absurde si on la confronte avec le but poursuivi par la communication électronique (dématérialisation complète,disparition du papier). En outre, cela reviendrait à ajouter une charge pour les opérateurs économiques qui pouvaient, avant, se contenter d’imprimer et de signer leur DUME avant de le joindre à l’offre, alors que désormais ils devraient, en plus, le scanner et l’enregistrer sur un support informatique. Enfin, on s’interroge sur la validité d’une signature scannée.
Doit-on utiliser la plateforme e-Tendering pour la transmission du DUME et la voie postale pour le reste de la demande de participation ou de l’offre?
Cette méthode est au moins aussi absurde que la première: quel est alors le sens de la disposition transitoire qui permet d’utiliser le papier jusqu’en octobre 2018?- Doit-on joindre un DUME au format PDF, jamais imprimé ni signé? Le règlement européen instituant le DUME prévoit lui-même que «il peut ne pas être nécessaire que le DUME soit signé lorsqu’il est transmis parmi un ensemble de documents dont l’authenticité et l’intégrité sont garanties par la (les) signature(s) requise(s) pour le moyen de transmission utilisé». Mais quel adjudicateur acceptera une déclaration sur l'honneur non signée?
A notre sens, il revient à l’adjudicateur de préciser la voie à suivre, dans les documents du marché, afin que les opérateurs économiques sachent à quelle méthode appliquer.
3. Vérification du DUME
Aux termes de l’article 73 de la loi du 17 juin 2016, le DUME vaut «à titre de preuve a priori en lieu et place des documents ou certificats délivrés par des autorités publiques ou des tiers pour confirmer que le candidat ou soumissionnaire concerné remplit toutes les conditions» de sélection qualitative. Le DUME a donc vocation à être le seul document remis dans le cadre de la sélection qualitative, aucun autre document ne devant être joint à la demande de participation ou à l’offre dans ce cadre.
Il arrive cependant fréquemment que les adjudicateurs réclament dans le même temps un DUME et les certificats et documents probants qui permettent de vérifier le bien-fondé de la déclaration sur l’honneur. Cette attitude n’est pas illégale puisque «le pouvoir adjudicateur peut demander à des candidats et soumissionnaires, à tout moment de la procédure (et donc dès le dépôt de la demande de participation ou de l’offre), de fournir tout ou partie des documents justificatifs, si cela est nécessaire pour assurer le bon déroulement de la procédure». Outre que l’on s’interroge sur le caractère «nécessaire pour assurer le bon déroulement de la procédure», cette façon de faire est contre-productive puisqu’elle supprime l’intérêt du DUME, qui est de dispenser la plupart des candidats ou soumissionnaires de la charge administrative qui consiste à collecter ces documents et attestations. Pour l’adjudicateur également, la charge administrative est augmentée puisqu’il doit alors vérifier la présence, la validité et la complétude de tous les DUME mais aussi de tous les certificats et documents, chez tous les candidats ou soumissionnaires (alors qu’il aurait pu se contenter de ne vérifier que la présence, la validité et la complétude des DUME).
En principe, donc, tous les candidats ou soumissionnaires remettent un DUME mais seul l’adjudicataire pressenti doit remettre les certificats et documents probants. Et encore: il ne doit remettre que les certificats et documents que l’adjudicateur n’a pas la possibilité d’obtenir directement en accédant à une base de données nationale accessible gratuitement (Télémarc). Or, en Belgique, et le 1er mai 2018 au plus tard, tous les adjudicateurs doivent avoir demandé un accès à Télémarc. La charge administrative que représente l’obligation de produire les certificats et documents probants est donc encore réduite depuis le 1er mai 2018.
L’adjudicateur ne doit pas omettre cette étape de vérification, avant de prendre sa décision d’attribution (ou de sélection, dans le cadre d’une procédure incluant une phase distincte de sélection). Le Conseil d’État a ainsi sanctionné un adjudicateur qui s’était contenté de la déclaration sur l’honneur, sans plus de vérification. Cet arrêt a été rendu sous l’empire de l’ancien régime (avant l’entrée en vigueur du DUME, donc, mais l’ancien régime prévoyait aussi l’utilisation d’une déclaration sur l’honneur,implicite ou explicite) mais son enseignement peut parfaitement être transposé aujourd’hui, d’autant que cette obligation de vérification est rappelée dans l’article 73 de la loi du 17 juin 2016.
Enfin, au titre de la vérification du DUME, signalons également cet arrêt du Conseil d’État d’avril 2018 sanctionnant un adjudicateur qui avait éliminé un peu hâtivement un opérateur économique qui avait, suite à une erreur matérielle dont la vraisemblance n’était pas contestée, transmis uniquement les pages impaires de son DUME. Selon le Conseil d’État, en décidant d’éliminer l’opérateur économique sans l’inviter à transmettre les pages paires du document, l’adjudicateur a manqué au principe de bonne administration.
4. Conclusion
Le DUME est présenté comme un instrument de simplification administrative mais la réalité ne rencontre pas souvent cet objectif. En Belgique, le DUME est même un recul par rapport à l’ancienne réglementation, qui prévoyait que la déclaration sur l’honneur pouvait être implicite dans certains cas! Évidemment, il faut laisser à chacun le temps de découvrir ce document: nous sommes tous débutants en matière de DUME! Nul doute que d’ici quelques mois ou années, adjudicateurs et opérateurs économiques jongleront avec ce document comme s’il avait toujours existé. Nous sommes convaincus de l’intérêt de la dématérialisation des marchés publics, mais conscients que celle-ci doit encore être développée pour atteindre sa pleine efficacité. Il serait par exemple souhaitable de «relier» le DUME à Télémarc, de sorte que les opérateurs économiques n’aient plus à compléter des informations que l’adjudicateur(qui n’aura plus à les lire) peut vérifier en quelques clics. Mais le DUME est européen, alors que Télémarc est belge: il faudrait aussi concilier les deux systèmes et que tous les «Télémarc» en Europe se ressemblent.
Nous espérons que ces quelques lignes permettront de lever certains doutes à l’égard du DUME, sans prétendre pouvoir les dissiper tous. Nous restons à votre disposition pour une assistance ultérieure, si nécessaire.