Serait-ce la fin de l’attribution au moins disant?

La nouvelle réglementation relative aux marchés publics prévoit que le marché public est attribué à l’opérateur économique qui a remis «l’offre économiquement la plus avantageuse».

L’ancien régime distinguait l’offre économiquement la plus avantageuse (pour l’attribution du marché en cas de procédure à multiples critères d’attribution) de l’offre économiquement la plus basse (pour l’attribution du marché en cas de procédure basée sur le seul critère du prix). En outre, le terme «adjudication» n’apparait plus dans la nouvelle réglementation. Ce n’est pas pour autant que l’attribution du marché à l’opérateur économique le moins disant n’est plus permise

Traditionnellement, les autorités adjudicatrices belges, pour la passation de leurs marchés publics de travaux, ont souvent eu recours à la procédure d’attribution basée sur le seul critère du prix, anciennement appelée «adjudication». Ce mode de passation aboutissait à l’attribution du marché à l’opérateur économique qui avait remis l’offre régulière la plus basse, en d’autres termes à l’opérateur économique le «moins disant».

Dès avant son adoption, la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics a suscité diverses rumeurs: attribution exclusivement sur la base de l’offre «économiquement la plus avantageuse», disparition de la procédure d’adjudication, … Certains ont entendu sonner le glas de cette pratique bien ancrée, à l’instar de ce qui se fait en France, où l’attribution d’un marché public sur la base du seuil critère du prix est réservée aux marchés publics «de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d’un opérateur économique à l’autre».

1. L’offre économiquement la plus avantageuse

Rien de tout cela cependant: si la réglementation belge prévoit, en effet, que «le pouvoir adjudicateur se fonde, pour attribuer les marchés publics, sur l’offre économiquement la plus avantageuse», elle ajoute cependant que «l’offre économiquement la plus avantageuse du point de vue du pouvoir adjudicateur est, au choix, déterminée: 1° sur la base du prix; 2° sur la base du coût, selon une approche fondée sur le rapport coût/efficacité, telle que le coût du cycle de vie (…) ; 3° en se fondant sur le meilleur rapport qualité/prix qui est évalué sur la base du prix ou du coût ainsi que des critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux et/ou sociaux liés à l’objet du marché public concerné (…)».

A) SUR LA BASE DU PRIX

Il reste donc possible que la meilleure offre soit celle dont le prix est le plus bas: c’est ce que vise le législateur lorsqu’il fait référence au «prix», même s’il n’est plus expressément indiqué «le prix le plus bas».
Lorsqu’il a l’intention d’appliquer le critère du «prix» comme seul critère d’attribution, le pouvoir adjudicateur l’indique dans les documents du marché. Il a également – comme c’était déjà le cas sous l’empire de l’ancienne réglementation – tout intérêt à décrire l’objet de son marché avec suffisamment de précision pour que les offres qu’il recevra ne se distinguent que selon leur prix et proposent toutes une qualité minimale identique. Sans cela, il risque de se retrouver avec des propositions d’une qualité variable, et sera peut-être tenu de retenir une offre dont la qualité ne le satisfera pas, au risque de devoir modifier le marché en cours d’exécution et de devoir payer des surcoûts réclamés à l’entrepreneur (qui est en situation de monopole, une fois que le marché lui a été attribué, et qui n’a donc plus d’incitant à limiter les frais liés à ces travaux supplémentaires).

B) SUR LA BASE DU COÛT

La notion de «coût» est nouvelle, dans la réglementation relative aux marchés publics. Elle est plus large que la notion de «prix»: le «coût» inclut le prix d’achat, mais également «d’autres coûts économiques liés à l’achat et à la propriété», tels que les coûts liés à l’utilisation.

La loi du 17 juin 2016 précise que lorsque l’attribution se fait sur la base du coût, l’approche est «fondée sur le rapport coût/ efficacité, telle que le coût du cycle de vie». Les éléments économiques (prix d’achat et autres) doivent donc être mis en relation avec l’efficacité proposée par l’opérateur économique.

L’approche fondée sur le «coût du cycle de vie» vise à valoriser la construction durable puisqu’elle consiste à prendre en compte tous les coûts occasionnés par les différentes étapes de la vie de l’ouvrage, du produit ou du service: la construction du bâtiment (en ce compris le coût des matériaux, de leur transport et de leur mise en œuvre), sa maintenance ou son entretien (à laquelle/auquel on pourrait adjoindre la consommation énergétique), voire même sa démolition (et des frais de recyclage) si l’ouvrage n’est que temporaire. L’article 82 de la loi du 17 juin 2016 indique ce que couvrent les coûts du cycle de vie, et mentionne qu’ils peuvent également inclure «les coûts imputés aux externalités environnementales liés au produit, au service ou à l’ouvrage pendant son cycle de vie», à condition toutefois que ces coûts puissent être évalués économiquement, comme par exemple les émissions de gaz à effet de serre.

Cette approche doit amener le pouvoir adjudicateur à une réflexion à moyen ou long terme lors de la dépense publique. Mais elle requiert des connaissances et compétences suffisantes pour, dans un premier temps, indiquer clairement dans les documents du marché les éléments et informations que doivent fournir les opérateurs économiques ainsi que la méthode qui sera appliquée pour l’évaluation des offres et, dans un second temps, procéder à la comparaison des offres afin d’identifier la meilleure d’entre elles. 

C) SUR LA BASE D’UN RAPPORT QUALITÉ/PRIX

Enfin, l’offre économiquement la plus avantageuse peut être identifiée «en se fondant sur le meilleur rapport qualité/ prix qui est évalué sur la base du prix ou du coût ainsi que des critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux et/ou sociaux liés à l’objet du marché public concerné»8. Ce point ne diffère pas beaucoup de ce qui était applicable sous l’ancien régime, lorsque le marché public était attribué au terme d’une procédure d’appel d’offres.
Comme autrefois, le législateur énumère, à titre indicatif, les critères qui peuvent être appliqués par le pouvoir adjudicateur, qui doit les indiquer dans les documents du marché: des critères liés à la qualité de l’ouvrage (valeur technique, conception pour tous les utilisateurs, caractéristiques sociales et environnementales, …), des critères liés au service après-vente (délai d’exécution, étendue et durée de la garantie, …) et, désormais, des critères liés à l’organisation, aux qualifications et à l’expérience du personnel assigné à l’exécution du marché, mais seulement lorsque la qualité du personnel chargé de l’exécution du marché «peut avoir une influence significative sur le niveau d’exécution du marché» (nous soulignons).

2. Les reliquats de l’adjudication

Plusieurs règles propres à la procédure d’adjudication étaient inscrites dans l’ancienne réglementation relative aux marchés publics. Toutes n’ont pas disparu dans la nouvelle réglementation. 

A) LES RÈGLES QUI ONT CHANGÉ DANS LA NOUVELLE RÉGLEMENTATION

La règle de la proclamation des prix à l’ouverture des offres a disparu dans la nouvelle réglementation, qui ne prévoit tout bonnement plus de séance publique d’ouverture des offres. Les prix proposés par les différents opérateurs économiques ne figurent par ailleurs plus (obligatoirement) dans le procès-verbal d’ouverture des offres.
L’article 9, § 2, de l’arrêté royal du 15 juillet 2011 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques interdisait les variantes libres en adjudication. L’article 10, § 2, alinéa 2, du même texte imposait la gratuité des options libres dans le cadre de cette procédure. Désormais, l’article 56 de la loi du 17 juin 2016 ne prévoit plus rien de tout cela. En pratique cependant, l’option libre restera gratuite lorsque la comparaison des offres se fait sur la seule base du prix, car les opérateurs économiques n’ont aucun intérêt à majorer le montant de leur offre en raison d’éléments supplémentaires non demandés par le pouvoir adjudicateur. Quant à la variante libre, qui n’est toutefois permise que pour les marchés dont la valeur estimée n’atteint pas le seuil fixé pour la publicité européenne et à condition que le pouvoir adjudicateur ne l’ait pas interdite dans les documents du marché, elle permet désormais à un opérateur économique particulièrement inventif de proposer une solution alternative au projet décrit par le pouvoir adjudicateur. Il n’a toutefois intérêt à le faire que lorsque sa solution alternative présente un prix moindre que la solution de base du pouvoir adjudicateur.
Le changement dans la marche à suivre lorsque le pouvoir adjudicateur n’a pas conclu le marché avant l’expiration du délai d’engagement est minime: le pouvoir adjudicateur doit toujours interroger l’adjudicataire pressenti et lui demander s’il consent à maintenir son offre. La nouveauté réside dans la suppression des termes «par écrit» lorsque l’opérateur économique répond: il peut donner son consentement autrement que par écrit (par hypothèse, par des moyens électroniques).
Enfin, la règle selon laquelle l’opérateur économique qui, bien qu’ayant remis l’offre la plus basse, ne s’est pas vu attribué le marché public a droit à une indemnisation forfaitaire s’élevant à 10% du montant de son offre ne figure plus dans la nouvelle réglementation.

B) LES RÈGLES QUI N’ONT PAS CHANGÉ DANS LA NOUVELLE RÉGLEMENTATION

L’article 97, § 5, de l’arrêté royal du 15 juillet 2011 prévoyait la marche à suivre lorsqu’un opérateur économique avait modifié les quantités d’un métré ou d’un inventaire. Ce régime a été repris à l’article 86, § 4, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques et est désormais également applicable lorsque la meilleure offre est identifiée sur la base du coût ou d’un rapport qualité/prix.
L’article 36, § 4, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 énonce une règle de calcul pour l’identification de prix totaux apparemment anormaux: «dans le cas d’un marché de travaux (…) passé par procédure ouverte ou restreinte et dont l’offre économiquement la plus avantageuse est uniquement évaluée sur la base du prix et pour autant qu’au moins quatre offres aient été prises en considération conformément aux alinéas 3 et 4, le pouvoir adjudicateur effectue un examen des prix ou des coûts conformément aux paragraphes 2 et 3, pour toute offre dont le montant total s’écarte d’au moins quinze pour cent en dessous de la moyenne des montants des offres déposées par les soumissionnaires». Cette règle figurait auparavant à l’article 99 de l’arrêté royal du 15 juillet 2011.

Enfin, lorsque plusieurs opérateurs économiques sélectionnés qualitativement ont remis une offre régulière d’un montant identique, le pouvoir adjudicateur doit, comme par le passé, inviter ces opérateurs économiques à présenter une proposition écrite de rabais. Si, suite à cette proposition de rabais, le pouvoir adjudicateur est confronté à une nouvelle égalité, il doit procéder à un tirage au sort pour désigner l’adjudicataire du marché.

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