Les règles applicables aux marchés constatés sur simple facture acceptée
L’augmentation, à 30.000 EUR HTVA, du seuil en-dessous duquel l’existence d’un marché public peut être constatée par «simple facture acceptée» n’a pas échappé à la plupart des acteurs des marchés publics
La non-applicabilité de la réglementation des marchés publics ne signifie pas que l’adjudicateur est libre de faire ce qu’il souhaite. Les articles 92 (dans les secteurs classiques) et 162 (dans les secteurs spéciaux) de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics énumèrent (à l’identique) les règles auxquelles sont soumis ces «marchés publics de faible montant». On se réfèrera également aux articles 124 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques et à l’article 121 de l’arrêté royal du 18 juin 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs spéciaux. Remarque importante: les règles détaillées ci-après ne sont applicables qu’aux marchés publics lancés depuis le 30 juin 2017, c’est-à-dire les marchés dont l’avis de marché a été publié à partir de cette date ou les marchés pour lesquels, à défaut d’avis de marché, l’invitation à soumissionnera été envoyée à partir de cette date. Les marchés antérieurs mais toujours encours d’exécution à ce jour restent soumis à l’ancien régime, repris autrefois à l’article 20 de l’arrêté royal du 15 juillet 2011 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques et à l’article 20 de l’arrêté royal du 16 juillet 2012 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs spéciaux.
1. Règles en matière d’estimation de la valeur du marché
Cela relève de l’évidence: les règles d’estimation de la valeur du marché sont applicables aux marchés publics de faible montant… afin de déterminer s’ils sont bien «de faible montant»! Les dispositions de référence sont les articles du Chapitre 2 du Titre 1er de l’arrêté royal du 18 avril 2017 (dans les secteurs classiques) et les articles du Chapitre 2 du Titre 1er de l’arrêté royal du 18 juin 2017 (dans les secteurs spéciaux)
2. Définitions et principes généraux
Pour des raisons de cohérence, les définitions reprises à l’article 2 de la loi du 17 juin 2016 sont également applicables aux marchés publics de faible montant. On imagine la délicatesse de la situation dans laquelle un adjudicateur redé
finirait le concept de «marché de travaux» ou de «spécification technique»!...
Les principes généraux, repris au Chapitre 2 du Titre 1er de la loi du 17 juin 2016, sont également applicables aux marchés publics de faible montant, à l’exception de deux d’entre eux: le principe du paiement pour service fait et accepté (visé à l’article 12 de la loi du 17 juin 2016) et le principe de la dématérialisation de la procédure de passation (visé à l’article 14 de la même loi). Concrètement, cela signifie que les marchés publics de faible montant peuvent être payés avant la moindre prestation, et qu’ils peuvent être passés sans utiliser les plateformes de dématérialisation (e-Notification et e-Tendering). Pour ces «petits marchés», le législateur n’impose aucune consigne de forme pour la remise des offres, de sorte que même la communication par e-mail est permise.
Les autres principes généraux, eux, sont bel et bien applicables aux marchés publics de faible montant.
Le premier est le principe d’égalité, de non-discrimination, de transparence et de proportionnalité (article 4 de la loi du 17 juin 2016). En vertu de ce principe, l’adjudicateur qui s’apprête à passer un marché public de faible montant doit traiter les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination (il n’a pas de traitement différencié, plus favorable ou moins favorable, à l’égard d’un opérateur économique particulier), il transmet la même information sur ses besoins à tous les opérateurs économiques qu’il consulte et veille à rester proportionné lorsqu’il prend chacune de ses décisions (par exemple: il ne formule pas d’exigences disproportionnées au regard de ses besoins, il ne se montre pas excessivement sévère s’il vérifie la régularité des offres qu’il reçoit, …).
Le second principe concerne le respect de la concurrence (article 5 de la loi du 17 juin 2016). Même pour ces marchés publics de faible montant, l’adjudicateur est tenu de respecter la concurrence. Il doit être en mesure de fournir la preuve qu’il a consulté plusieurs opérateurs économiques (cette exigence figure à l’article 124 de l’arrêté royal du 18 avril 2017, pour les secteurs classiques, et à l’article 121 de l’arrêté royal du 18 juin 2017, pour les secteurs spéciaux) ou qu’il n’existe pas de concurrence (moyennant une motivation semblable à celle qu’il rédigerait pour invoquer un monopole, dans un marché public de plus grande valeur). Il n’est pas nécessaire que les différents opérateurs économiques remettent une offre: une simple consultation (demande de catalogues, de devis, ou toute autre preuve de consultation) suffit. L’adjudicateur veillera à conserver, dans son dossier administratif, la trace de ces consultations.
Le principe interdisant les conflits d’intérêts (article 6 de la loi du 17 juin 2016) est également applicable aux marchés publics de moins de 30.000 EUR HTVA. Ce principe, lié à celui de la concurrence et à celui de l’égalité de traitement, oblige l’adjudicateur à «prendre les mesures nécessaires» en cas de conflit d’intérêts avéré ou potentiel, comme par exemple la récusation d’un acheteur ou, si aucune mesure moins contraignante n’est possible, l’éviction de l’opérateur économique concerné par le conflit d’intérêt.
L’adjudicateur ne peut pas exiger des opérateurs économiques étrangers légalement habilités, dans leur pays d’origine, à fournir la prestation concernée, qu’ils soient une personne physique ou, au contraire, une personne morale au motif que la réglementation belge formule une telle obligation (cela contraindrait ces opérateurs économiques étrangers à changer de forme ou de structure pour avoir accès au marché). Il ne peut pas non plus interdire la remise d’offre par un groupement d’opérateurs économiques sans personnalité juridique (article 8 de la loi du 17 juin 2016).
Le principe forfaitaire (article 9 de la loi du 17 juin 2016) s’applique aux marchés publics de faible montant et a pour conséquence que ces marchés sont passés à forfait, sans qu’il ne puisse y être apporté de modification substantielle en cours d’exécution (notamment, les prix convenus à la conclusion du marché ne sont pas renégociés en cours d’exécution).
L’article 10 de la loi du 17 juin 2016 traite de la révision des prix mais, puisque celle-ci n’est obligatoire que pour les marchés de travaux ou pour certains marchés de services, et à la double condition que, d’une part, leur valeur atteigne 120.000 EUR HTVA et, d’autre part, leur durée soit d’au moins 120 jours ouvrables ou 180 jours de calendrier, la révision des prix a peu de pertinence dans le cadre d’un marché public de faible montant. L’adjudicateur pourrait néanmoins prévoir une formule de révision des prix, bien qu’il n’y soit pas contraint.
En toute hypothèse, l’adjudicataire d’un marché public de faible montant est protégé contre l’aléa important par le principe de la révision du marché pour bouleversement de l’équilibre contractuel (article 11 de la loi du 17 juin 2016). Lorsque l’équilibre contractuel est mis en péril par une circonstance imprévisible, et malgré l’existence du principe forfaitaire, chacune des parties a le droit de demander la révision du marché.
Le principe de confidentialité (article 13 de la loi du 17 juin 2016) implique, d’une part, que les opérateurs économiques n’ont aucun accès au dossier tant que l’adjudicateur n’a pas pris sa décision finale et, d’autre part, que l’adjudicateur ne divulgue pas les renseignements qui lui ont été fournis à titre confidentiel par les opérateurs économiques. Par ailleurs, l’adjudicateur peut imposer des obligations de confidentialité aux opérateurs économiques qu’il consulte et, a fortiori, à celui auquel il attribue le marché.
Enfin, l’article 15 de la loi du 17 juin 2016 permet à l’adjudicateur de réserver certains marchés à des ateliers protégés ou à d’autres acteurs œuvrant pour l’insertion ou la réinsertion sur le marché du travail de personnes handicapées ou défavorisées.
3. Champ d’application ratione personae
Les entités concernées par la passation de marchés publics de faible montant sont les pouvoirs adjudicateurs (secteurs classiques) et les entités adjudicatrices (secteurs spéciaux). Il est à noter que, contrairement à d’autres seuils, le montant de 30.000 EUR HTVA est applicable indistinctement aux secteurs classiques et aux secteurs spéciaux.
4. Champ d’application ratione materiae
Enfin, le champ d’application quant aux prestations concernées par la réglementation des marchés publics ne diffère pas selon que la valeur estimée du marché est inférieure ou supérieure à 30.000 EUR HTVA. En d’autres termes, il n’existe pas de prestation qui devrait, lorsque sa valeur atteint 30.000 EUR HTVA, être acquise par le biais d’un marché public mais qui pourrait, lorsque sa valeur est inférieure à ce montant, être acquise sans application des principes qui ont été exposés précédemment.
5. Motivation, information et voies de recours
La loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions n’est pas applicable aux marchés publics de faible montant. Cela ne signifie toutefois pas nécessairement que l’adjudicateur est dispensé de l’obligation de motiver sa décision d’attribution, ou qu’un opérateur économique ne peut pas contester une telle décision. En effet, outre les règles internes, propres à chaque entité, certaines réglementations spécifiques peuvent s’appliquer, et notamment (pour les adjudicateurs qui sont également des «autorités administratives») la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, qui oblige les autorités administratives à motiver toutes leurs décisions, ou les lois sur la publicité de l’administration (loi du 11 avril 1994 et autres textes applicables aux entités fédérées et aux pouvoirs locaux), qui soumettent les autorités administratives à une obligation de publicité passive, c’està-dire une obligation de répondre aux demandes d’informations quant à leurs décisions.